Casques sur les genoux, systèmes de survie enclenchés, les marines étaient assis à l’intérieur du sombre et glacial module d’atterrissage. Ragnar, le Seigneur Loup de la Grande Compagnie étudiait tour à tour chacun de ses loups, leur jetant un dernier regard avant qu’ils ne bouclent leurs casques, essayant de fixer leur visage dans son esprit. La lumière bleue de l’oculaire du communicateur jetait une lueur cadavérique sur leurs silhouettes. Il eut soudain conscience que c’était peut être la dernière fois qu’il voyait ses camarades en vie.
Hakon se tenait droit, le dos raide, bolter serré contre la poitrine. Son visage aux lèvres fines et à la peau tannée était figé. Des yeux d’un bleu glacial luisaient sous une crinière de cheveux argentés. Le sergent de la Garde des Loups avait l’air vieux et las. La nuit dernière il avait rêvé sa mort. Même si de telles visions étaient de mauvais augure, il ne manifestait aucun signe de peur.
Njal, le Prêtre des Runes, était assis face à Ragnar, sous le hublot. On pouvait apercevoir les étoiles à travers le vitrail représentant le Sacre de l’Empereur vers le trône de la vie éternelle. Njal joignit ses mains en prière, les yeux noyés dans le lointain. Les runes de son armure luisaient faiblement. Ragnar se demandait quelles visions il pouvait bien avoir et lui envia un instant ce don de l’Empereur.
« Je suis prêt ! » rugit Egil. Son visage simiesque était perpétuellement figé dans un rictus. Par Russ, même pour un Space Wolf, quel sauvage ! Durant leur long entraînement, il avait brisé deux des doigts de Ragnar et avait ri bruyamment lorsque l’on avait transporté le jeune marine à l’Apothicarion. Ragnar ne lui en tenait pas rigueur, ils avaient combattu côte à côte dans trop de batailles désespérées pour que cela ait encore une quelconque importance.
« Aujourd’hui tu vas donner aux Scaldes des raisons de chanter, hein Hakon ? » lança Gunnar, l’homme de soutien de l’escouade. Il sourit, découvrant ses longues canines, marque génétique des Space Wolves.
Hakon émit un rire sans joie, semblable à un aboiement.
« Remercie l’Empereur de te donner une occasion de prouver ta bravoure. »
« Il prouvera son courage bien assez tôt » rétorqua Egil.
Gunnar engagea un chargeur dans son arme. « Ne t’inquiètes pas Egil, je jetterai un œil sur toi. »
Gunnar était le plus jeune élément et le dernier arrivé dans la Garde des Loups. Il avait été appelé au service personnel de Ragnar après avoir tué trois genestealers en corps à corps et ramené un camarade blessé sur le Space Hulk « Péché Mortel ». Comme les autres, il ne montrait aucun signe de gueule de bois malgré la quantité effarante de bière qu’il avait bue la veille.
« Occupe toi plutôt de toi »ironisa Egil, « tu me dois toujours deux bouteilles de notre dernier bras de fer. »
Gunnar donna une claque sur l’épaule de l’armure d’Egil et rit. « Demain je te paierai en totalité. »
« Ce serait bien de toi de te faire tuer pour éviter de payer tes dettes » dit Egil. Malgré les plaisanteries il y avait de la tension dans l’air. Ragnar pouvait le sentir. Ils savaient tous que cet atterrissage pouvait être le dernier.
« Invocations finales » ordonna Ragnar. Chaque marine fit silence et se concentra sur les prières nécessaires à l’activation de son armure.
Ragnar savait que son équipement était bien entretenu. Il avait exécuté le rituel lui-même, baignant l’armure dans des huiles parfumées pendant qu’il entonnait la litanie contre la corrosion, graissant les articulations avec des onguents sanctifiés, vérifiant les tuyaux de son respirateur avec les fumées colorées de l’encensoir. Il touchait tour à tour chaque rune de commandement, se rendant soudain compte à quel point il comptait sur la protection de son armure. Sa carapace de céramite l’abritait de la chaleur, du froid et des tirs ennemis. Les senseurs automatiques lui permettaient de respirer dans le vide et de survivre pendant des semaines dans des environnements les plus épouvantables.
Il ajusta le communicateur dans son oreille et vérifia la position de l’émetteur sur son larynx. Il baissa la tête et pria pour que les techniciens du vaisseau aient pris soin de leur équipement comme ses serfs l’auraient fait. Une fois à la surface de Darien, ce serait peut être son seul moyen de communication avec sa compagnie
Il joignit ses mains en prière, sentant l’amplification de ses muscles par son exosquelette lui donner la force de plusieurs hommes. Il ferma les yeux et laissa les capteurs sensitifs de son équipement identifier les phéromones de ses compagnons. Il savait que si l’atmosphère de la planète était respirable, il pourrait reconnaître ses compagnons à leur seule odeur. Par un acte de volonté délibéré, il déconnecta ses sens auditifs normaux pour se concentrer sur les émissions de son communicateur. Les litanies d’activation subvocales de ses compagnons sonnaient à ses oreilles, mêlées aux discussions de l’équipage du vaisseau.
« Casques en position » ordonna Ragnar. Les marines se coiffèrent de leurs casques et firent le rituel signe du pouce. Il sentit le casque se verrouiller lorsqu’il le mit en place. Les icônes de visée apparurent sur sa visière, sous l’inscription gothique d’affichage des données ; Tous les voyants étaient OK.
« Tout est paré. Pour l’Empereur » dit Hakon. Tour à tour les autres firent la même réponse.
« La bénédiction de l’Empereur vous accompagne. Puisse-t-il vous accorder sa force ». Il y eut un sifflement lors de l’éjection du module. La température extérieure baissa brutalement. Une icône bleue clignota le temps de trois battements de cœur pour signaler l’absence d’atmosphère. Il y eut un autre cliquetis au niveau de son cou. Ragnar sut que son casque s’était mis en place et qu’il ne pourrait être retiré que lorsque son équipement jugerait l’atmosphère respirable.
Il y eut une légère accélération. Pendant un moment Ragnar sentit l’apesanteur quand le module d’atterrissage quitta le champ gravifique artificiel du « Chasseurs de Démons ». Il retrouva une partie de son poids lors de l’accélération. Dans les moniteurs, le Chasseur apparut comme un vaste mur de métal. A mesure qu’ils s’éloignaient, le vaisseau devenait visible, depuis les ailes de la poupe jusqu’à la gueule de dragon de la proue. Sa taille démesurée était mise en évidence par les centaines de fenêtres voûtées, chacune longue comme une barge d’accostage et plus haute qu’un mât. Rapidement le Chasseurs de Démons diminua jusqu’à se perdre parmi les étoiles. Pendant ce temps, le monde étranger grossissait rapidement en dessous d’eux.
Quelque part en dessous, se trouvait l’ennemi. Ils affronteraient bientôt les tyranides.
Le module toucha le sol, Ragnar cessa de prier et ouvrit les yeux. Il frappa l’amulette d’ouverture de ses sangles et se leva rapidement.
« Dispersion », la voix de Ragnar était claire et calme dans les communicateurs.
Les panneaux du module se déployèrent comme les pétales d’une immense fleur d’acier. L’air s’engouffra, générant de la vapeur au contact du module glacé. Les marines sortirent d’un bond. Ragnar toucha le sol, regardant de tous côtés pour s’orienter. Son regard parcourut le relief alentour, les arbres, les bâtiments et la clairière. Il inspecta le ciel. D’autres modules tombaient vers eux comme les spores d’une gigantesque plante extraterrestre. Jusqu’ici pas de problème, se levant il courut vers l’abri le plus proche.
Le sol était mou et spongieux sous ses pieds. Du coin de l’œil il aperçut quelque chose de grand qui se déplaçait rapidement entre les arbres à proximité. La chose pointait le canon d’une arme lourde vers lui. Par réflexe, Ragnar fit un bond de côté juste au moment où des éclats de shrapnels déchiquetaient le sol à l’endroit même où il se trouvait. Il roula sur la gauche, levant son pistolet bolter à visée automatique. L’icône en forme de tête de loup à l’intérieur de sa visière clignotait, rouge, noir, rouge. Il pressa la détente, un projectile siffla vers sa cible. Un râle de douleur se fit entendre dans la forêt. Sans s’arrêter pour voir ce qui avait grogné ou si sa cible était atteinte, le Seigneur Loup roula vers l’abri d’un buisson pourpre. Il jeta un coup d’œil circulaire, pour voir si un de ses hommes était touché.
Egil courait vers la lisière de la clairière. Son cri de guerre se répercutait dans les communicateurs. Son bolter fit feu trois fois. Les explosions soulevèrent de la poussière à la lisière des arbres. De petites créatures reptiliennes fuyaient à travers bois. Ragnar en visa une. Sa tête explosa lorsque le projectile l’atteignit.
Près du module, Gunnar tenait bon, les jambes écartées, le lance-missiles fermement maintenu à deux mains. Des flammes jaillirent de la gueule du canon. Au bout d’une interminable, la roquette percuta sa cible avec fracas. Un grand arbre s’effondra sur la gauche, abattu par la déflagration. Des formes géantes émergèrent de l’abri précaire des branches. Il pouvait les voir clairement à présent.
On aurait dit des dinosaures. Leurs têtes étaient larges avec une protubérance sur l’arrière, une carapace de corne protectrice. Leurs cages thoraciques étaient externes, comme l’exosquelette d’un insecte. Les organes internes étaient clairement visibles. Ragnar pouvait voir les poumons se gonfler et le cœur battre. Chaque monstre avait quatre bras puissamment musclés, une paire terminée par de longues griffes, l’autre tenant un étrange fusil fait de chair ou une épée à l’aspect peu engageant. Leurs longues jambes se terminaient par des sabots, qu’ils levaient à une hauteur équivalente à la taille de Ragnar. Un aiguillon courbe se dressait entre leurs jambes. Cela lui rappelait les genestealers, mais il avait reconnu là une menace bien pire : des guerriers tyranides.
Njal, le Prêtre des Runes, hurla un défi, un nimbe de lumière scintilla autour de sa tête. Les runes de son bâton flamboyèrent et du bout de son arme jaillit un éclair d’énergie psychique pure qui atteignit un tyranide et l’enveloppa. La cage thoracique de la chose fut disloquée et ses poumons projetés à travers son dos comme deux ailes obscènes. Hakon bondit en avant à travers le flot de sang de la créature pour en abattre une autre d’un coup de son épée tronçonneuse. Un cri perçant monta jusque dans les ultrasons quand la lame déchiqueta l’exosquelette. L’odeur nauséabonde des os brûlés se mêla à l’air ambiant.
Un autre monstre se ruait sur Hakon. Il tenait dans ses griffes deux lames d’os acérées comme des rasoirs. Ragnar visa consciencieusement et fit feu à trois reprises. Simultanément le bolter d’Egil traça une ligne de feu à travers le poitrail du tyranide. La créature s’effondra quasiment sectionnée par la rafale. Hakon sauta par dessus le cadavre et plongea son épée tronçonneuse dans la cage thoracique du monstre suivant. En tombant la chose porta deux attaques. Hakon para désespérément l’une d’elles avec son épée tronçonneuse mais l’autre s’abattit sur son bras, sectionnant la céramique de l’armure. Du sang jaillit de la blessure. Hakon tomba en arrière en étreignant son bras. Un essaim de petites créatures se rapprochait alors que le guerrier des ruches agonisait tout près de lui.
Le Seigneur Loup dégaina son épée tronçonneuse et se jeta dans la mêlée. Il couvrit la distance en quatre longues enjambées et engagea le corps à corps. Ragnar prit sa lame à deux mains et la fit tournoyer en dessinant un large huit. Ses bras vibrèrent sous l’impact quand l’arme traversa l’ennemi. Sifflant et grognant, les termagants reculèrent.
D’une simple impulsion mentale, Ragnar activa les griffes de ses bottes et les libéra d’un coup, égorgeant une des créatures. Elles reculèrent alors un peu plus. Sournoisement, le tyranide agonisant tenta de le saisir dans ses terribles pinces. D’un geste tremblant, elles enserrèrent douloureusement ses jambes. Il regardait la chose tenter d’atteindre son arme. La pression sur ses jambes était immense. Il pouvait sentir la tension de la céramite. Dans un effort de volonté surhumaine, il parvint à dégager ses jambes. Rétractant ses griffes il posa alors son pied gauche sur la gorge du tyranide, puis sortit à nouveau ses griffes, transperçant les cartilages de la trachée. Il tira deux projectiles de bolter, un dans chaque œil. Le guerrier des ruches rendit enfin son dernier soupir. Ragnar lui brisa la nuque d’un coup de talon, histoire de s’assurer de sa mort.
Egil se tenait à présent à ses côtés, arrosant les termagants omniprésents de son bolter. Ils s’enfuirent paniqués, ressemblant plus à des animaux apeurés qu’à des guerriers dignes de ce nom. Ragnar s’était penché sur Hakon pour examiner ses blessures. Il avait déjà commencé à cicatriser, les corps bioniques des marines surmontaient vite les dommages. Le visage d’Hakon était pâle mais ses yeux étaient clairs et sereins.
« Je vais bien, Seigneur. Il faut plus qu’une égratignure comme celle là pour se débarrasser de moi ». Le bruit de quelque chose d’immense qui piétinait les sous bois vint se mêler à la respiration irrégulière d’Hakon et aux détonations lointaines des bolters.
« Heureux de l’entendre, frère. C’est le moment ou jamais de démontrer cette théorie ». Pendant qu’Hakon se redressait péniblement, Ragnar se brancha sur le réseau. « Rapport des chefs de sections ».
« Section Fer de Hache, nettoyage périmètre Secundus Ouest, forte résistance, pertes acceptables. Prendrons possession des bâtiments d’ici deux minutes ». Le réseau transmettait l’écho lointain des cris d’agonie et des tirs ininterrompus de bolters.
« Bien reçu » répondit Ragnar. La chose qui se trouvait dans les bois était maintenant toute proche. Ragnar retira son casque, il prit une profonde aspiration d’air pollué et fit quelques passes d’armes avec son épée. Il lança une grimace en direction d’Hakon. Le sergent lui rendit son rictus. Par Russ, quelle que soit la chose qui approchait, elle semblait énorme. Et à en juger aux bruits, elle n’était pas seule.
« Section Javelot, en position sur hauteur Tercius Ouest, établissons le contact avec Frère Capitaine Strybjorn dans le périmètre Nord. Nous avons une assez bonne vue sur la vallée et estimons que le périmètre Ouest sera nettoyé d’ici trois minutes. »
« Reçu ». Un horrible cri retentit à moins d’une centaine de mètres. Ragnar eut un mauvais pressentiment et montra les crocs en grimaçant.
« Seigneur Loup, attention ! Créature ennemie géante avec cinq genestealers en approche de votre position, faisons mouvement pour interception ».
Ragnar reconnu la voix de Lukkan, l’impétueux sergent de la section Lame des Griffes Sanglantes. Il jeta un coup d’œil vers le ciel. Les huit survivants des Griffes Sanglantes jaillirent de l’est, faisant des bonds de géants grâce à leurs réacteurs portatifs. Ragnar pesta intérieurement. Cette damnée tête brûlée allait se faire tuer ainsi que ses hommes.
« Non, rejoignez-moi immédiatement. Secteur Primus Ouest. C’est un ordre ! »
« Reçu ». Ragnar rit. Lukkan avait l’air bien penaud. Hakon lui toucha le bras. « Par les os de Russ » murmura le vieux sergent. « Regardez-moi ça ».
« Feu à volonté ! » aboya Ragnar. Des genestealers, monstruosités à quatre bras garnis de pinces acérées comme des rasoirs entouraient une entité qui aurait fait passer un guerrier des ruches tyranide pour un pitoyable nain. Il ressemblait vaguement à un genestealer. Il possédait les mêmes mâchoires dégoulinantes d’acide, la même tête d’insecte. Mais il était bien plus massif, plus haut qu’un guerrier des ruches et beaucoup plus large. Il possédait quatre énormes pinces chitineuses en forme de faux, apparemment faites de cartilage et d’os. Il tenait entre ses pinces une boule de plasma bleu vacillante qu’il projeta sur Ragnar et Hakon.
Le Seigneur Loup plongea sur sa gauche, entraînant Hakon avec lui. Les deux hommes tombèrent ensemble, leurs armures s’entrechoquant, puis se séparèrent en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Une vague d’intense chaleur grésilla aux oreilles de Ragnar lorsque l’éclair de plasma le frôla. Il s’abattit sur un arbre proche dont le feuillage s’embrasa instantanément.
Du coin de l’œil, il vit Njal disparaître dans les bois. Le Prêtre des Runes ne pouvait bien entendu pas s’enfuir. Ragnar chassa cette pensée de son esprit. Il devait se préoccuper de tout autre chose.
« Un cadeau des fils de Russ » rugit Gunnar. Un missile s’échappa de son arme en direction du géant. De la fumée s’échappa à l’endroit de l’impact. Le sol trembla. Une fois la fumée dissipée, Ragnar scruta l’endroit avec appréhension. La bio construction tyranide était toujours debout, même si un énorme morceau de sa carapace avait été arraché. Ragnar pointa son pistolet bolter et visa la tête de la créature. Il déchira ce qui faisait office de joue. La créature continuait d’avancer.
« Aussi coriace qu’un troll de nuit » conclut Egil. Son bolter fit feu, portant un autre coup à la créature sans causer beaucoup plus de dégâts.
« Plus coriace, » renchéri Ragnar en faisant à nouveau feu. Hélas, le coup rebondit encore sur la carapace de la monstruosité. Son épée frémissant dans sa main gauche, il était prêt à affronter la mort. L’énorme monstre prenait de l’élan dans sa course, sa charge semblait impossible à arrêter.
Hakon jeta une grenade qui rebondit aux pieds de la bête avant d’exploser. Le monstre hurlant vacilla puis s’effondra. Indifférents, les genestealers le dépassèrent en une vague féroce et mortelle, faisant claquer leurs pinces et découvrant leurs crocs luisants.
Dans un rugissement, les Griffes Sanglantes se jetèrent dans la mêlée. Depuis les airs, ils lâchèrent un tapis de grenades. Les explosions soufflèrent les genestealers. L’un d’entre aux atterrit aux pieds de Ragnar. Il fit claquer ses pinces capables de sectionner l’acier. Ragnar para la première avec son épée, esquiva la seconde, plongea sous la troisième et laissa échapper un hurlement de douleur lorsque la quatrième lui lacéra le front. Il frappa la tempe du stealer avec la crosse de son pistolet, la violence du coup repoussa la créature à portée de son épée. Il la décapita proprement puis secoua la tête pour enlever le sang qui coulait dans ses yeux. Sa blessure commençait déjà à cicatriser.
Il vit les Griffes Sanglantes s’occuper du genestealer survivant. Malgré ses blessures, la créature leur opposait une résistance acharnée. Ses pinces jaillirent et éventrèrent frère Jotan. Le jeune marine vacilla, essayant de retenir ses intestins d’une main. Ragnar pointa son pistolet, espérant une ligne de visée dégagée mais la mêlée acharnée rendait impossible tout tir sur le monstre sans mettre en péril la vie de ses compagnons d’arme. Peu à peu, les troupes d’assaut prenaient le dessus. Le stealer se disloqua dans un éclat de membres sanglants.
Soudain les Griffes Sanglantes furent dispersés. Ragnar vit le géant aux pinces revenir à la charge. Un seul coup de ses pinces coupa en deux frère Karl. Un autre terrassa frère Tor. Lukkan s’effondra lourdement, inerte. La chose était comme les monstres des sagas. La peur s’immisça dans le cœur de Ragnar mais il n’en laissa rien paraître. Il étreignit plus fermement la garde de son épée et se prépara à affronter la chose au corps à corps.
Un poids s’abattit sur son dos. Une haleine fétide inonda son visage. Des dents acérées cherchèrent sa carotide. D’une façon ou d’une autre, un termagant s’était glissé derrière lui. C’était comme si ces créatures étaient guidés par une seule et unique pensée. La petite créature tentait de l’immobiliser en attendant que la plus grande vienne le tuer. Dans l’esprit de l’ennemi, c’était bel et bien lui le chef.
Ragnar roula en avant. L’élan entraîna le termagant par-dessus son épaule et l’envoya rouler non loin de là. Celui-ci frappa de sa queue, touchant Ragnar aux yeux. Des larmes coulèrent. Il fut momentanément aveuglé, allongé dans la poussière. Les pas lourds de la créature avançaient inexorablement. Son épée tomba. Non loin, le bolter d’Egil faisait feu mais le monstre ne ralentissait pas pour autant. Ragnar roula sur le côté, le termagant était de nouveau sur sa poitrine. Son sifflement triomphal emplissait ses oreilles. Guidé par le son, il referma son gantelet autour du cou de la créature. Il avait décidé que même si le monstre géant le tuait, son petit congénère mourrait avec lui. Il pensa qu’après tout, c’était une mort comme une autre, même si elle n’était pas aussi glorieuse qu’il aurait souhaité.
Le géant était tout près, son odeur omniprésente. Son sang lui coulait dessus. Il pouvait entendre les pulsations de métronome de son cœur. Son esprit visualisait les grandes pinces qui montaient et descendaient. Il raidit son corps pour l’impact. En même temps, il tordit le cou du termagant, sentant les vertèbres résister puis se rompre. Son immense congénère hurla comme s’il ressentait également la douleur.
La vue de Ragnar s’éclaircit et il regarda le visage de cauchemar et de démence. De puissantes mâchoires semblables à celles d’un requin dégoulinaient d’une salive visqueuse. Ses yeux fous remplis d’hostilité et avides de sang se plongèrent dans les siens. Les pinces en formes de faux ruisselaient de sang et étaient levées très haut. Lorsqu’elles s’abattirent, Ragnar sut que sa dernière heure était arrivée.
Soudain Hakon fut là. Le sergent s’était précipité sous les pinces. Il en bloqua une avec son épée tronçonneuse et saisit l’autre de son bras blessé. Ragnar vit la douleur s’inscrire sur son visage mais il ne cria pas. Frustrée, la créature attrapa le sergent dans ses quatre pinces. Hakon s’arc-bouta, luttant vainement contre la force de la chose. Les muscles de son cou étaient tendus, prêts à rompre. Pendant un moment il sembla y parvenir, mais il n’y avait aucune issue à cette emprise mortelle. Finalement, les pinces se refermèrent sur lui comme d’énormes paires de ciseaux et le corps d’Hakon tomba à terre, sectionné en trois.
Ragnar hurla de rage et de douleur. Il rejeta le cadavre du termagant et se remit sur pieds. Il plongea à nouveau son regard dans celui de la créature.
« Tu vas mourir » murmura-t-il, sa main se referma sur une grenade antichar.
Il sauta sur la créature, agrippa une pince et s’y hissa d’une main. En un battement de cils, il était parvenu au niveau de la tête du monstre. Il enfonça sa main dans la gueule de la bête, pressa le détonateur, cala ses pieds sur le poitrail du monstre et poussa pour s’éjecter.
Le sol arriva brutalement à sa rencontre. La créature stupéfaite s’avançait à nouveau. Pendant un moment Ragnar se demanda si la grenade était défectueuse. Puis la tête du monstre explosa enfin, projetant cervelle et muqueuses aux alentours. Pendant d’interminables secondes, son corps resta droit, puis il vacilla et tomba en arrière, accompagné par les cris de victoire et de soulagement des Space Marines.
Ragnar jeta un regard circulaire pour constater que la bataille était terminée. Il n’y avait plus le moindre ennemi en vue. Frère Lukkan se leva de sous le corps d’un de ses hommes et regarda son chef avec une crainte respectueuse. Njal sortit des bois, une tête de tyranide dégoulinante à la main.
« Le dernier » dit-il. « Ces créatures dégénérées ne nous poserons plus de problème avant longtemps ».
Ragnar baissa le regard vers le corps démembré du sergent Hakon. Une noble mort pensa-t-il, une mort de guerrier. Il leva les yeux et vit Egil qui le regardait.
« Vous allez bien Seigneur ? » demanda-t-il calmement.
Ragnar hocha la tête et parla dans son communicateur.
« Périmètre Primus Ouest nettoyé ».
Lentement, l’assemblée des Space Wolves survivants forma un cercle autour de la dernière demeure de leurs morts tombés au champ d’honneur. Dans l’ombre des grands bûchers de bois et de brindilles, chacun se tenait silencieux, perdu dans ses pensées, en deuil de ses amis tombés et méditant sur leur mort.
Ragnar regardait le Prêtre Loup Ulrik, debout au dessus du corps du sergent Hakon. Sa lame était ensanglantée par l’extraction des implants génétiques des morts.
« De la chair de Russ tu proviens » dit-il cérémonieusement en extrayant l’implant génétique du sergent, « à la chair de Russ tu retourneras ».
Avec recueillement, le Prêtre Loup plaça l’implant dans l’urne cryogénique et lécha le couteau sacré pour s’assurer qu’aucune goutte du sang d’un guerrier Space Wolf ne serait souillée par cette terre hostile et étrangère. Hakon était le dernier homme dont on récupérait l’implant. Le temps de la crémation était enfin venu.
Ulrik se tenait au beau milieu des bûchers funéraires. Il leva impérieusement les bras, à présent tous les regards étaient fixés sur lui.
« Contemplez pour la dernière fois le visage de vos frères » dit-il. « Ne les pleurez pas, ils sont morts en braves. Ils ont vécu en hommes et sont morts en hommes. A présent leurs esprits sont à jamais dans la demeure de l’Empereur. Nul guerrier ne pouvait rêver meilleure fin ».
Comme un seul homme, le cercle des Space Marines pivota et commença à tourner autour des bûchers pour regarder chaque mort. Devant Ragnar se trouvait Lukkan, derrière lui il y avait Gunnar. Il faisait partie du cercle des vivants. Pendant la crémation il n’y avait ni chefs, ni subordonnés, plus de Griffes Sanglantes, de Chasseurs Gris ni de Longs Crocs. Ils étaient tous égaux face à la douleur.
Pendant qu’ils marchaient, le regard de Ragnar se porta tout d’abord sur Hakon. Les souvenirs affluèrent alors. Il se rappelait à quel point il avait été frappé d’une crainte respectueuse lorsqu’il avait suivi le sergent lors de sa première bataille. Puis Ragnar était devenu Griffes Sanglantes et Hakon Garde Loup affecté à leur protection par le Seigneur Loup Berek. Le sergent avait extirpé Ragnar d’un Rhino en flammes et leur avait frayé un passage à travers une horde d’orks vociférants.
Hakon était toujours resté calme et méthodique. Lors d’une autre bataille mémorable contre les peaux vertes, il avait retenu Ragnar et Egil lorsque ceux-ci avaient voulu effectuer une charge suicidaire contre un Explosor. En jetant lui-même une grenade dans une des tourelles, il les avait tirés encore une fois d’un mauvais pas. Ragnar se rappelait de tout cela comme si c’était hier. Hakon avait décidément toujours été doué avec les grenades !
Ragnar regarda longuement le visage de frère Jann, le Prêtre de Fer, abattu par les genestealers alors qu’avec une abnégation fanatique il protégeait ses machines de guerre de la destruction. Le cadavre de l’énigmatique prêtre ne portait plus aucune relique sacrée du culte de la machine. Sa main et son œil bioniques lui avaient été retirés. Comme le voulait la tradition, les prothèses seraient confiées à son successeur. Les implants cybernétiques de son cou avaient été scellés. Ragnar n’avait pas très bien connu cet homme. Les Prêtres de Fer étaient entraînés séparément, ils étaient taciturnes, graves, continuellement absorbés par les mystères insondables de leur antique culte. Maintenant Ragnar savait que Jann avait été un homme de bien et il ressentit une réelle perte. Le Prêtre de Fer avait beau faire partie d’un autre culte, il était mort en marine et brûlerait en tant que tel.
Il regarda le visage balafré du Long Croc Hrothgar. Cet homme était déjà vieux lorsque Ragnar avait été choisi comme aspirant. Hrothgar avait été le premier à proposer Ragnar pour entrer dans la Garde des Loups lorsqu’il avait tué à lui seul un groupe de nobz orks et leur boss en corps à corps. Il avait affirmé qu’ils se devaient d’accepter un combattant aussi favorisé par Russ. Le seigneur Berek avait écouté ce témoin digne de confiance, puis emmené Ragnar dans une tournée des tavernes d’Avernus qui avait duré pas moins de trois jours. Après cela, il était devenu Garde Loup.
Puis vint Karl, le plus jeune des Griffes Sanglantes. Il était à peine aspirant lorsque de son côté Ragnar était devenu Seigneur Loup. Berek avait été trouvé mort au sommet d’un véritable monticule de cadavres d’hommes bêtes. Ragnar avait tenté de se frayer un chemin à travers les Thousand Sons pour secourir le vieux loup mais il était arrivé trop tard. Par cette action, il avait tenu le Chaos en respect suffisamment de temps pour permettre aux renforts d’arriver et préserver ainsi le sanctuaire des Voûtes du Secret. Cela avait été une mort glorieuse, dignement célébrée. Ragnar pouvait se rappeler des yeux exorbités du jeune Karl fixés sur le cadavre de Berek. Le garçon avait été enthousiasmé par le récit de la bravoure de Berek et voulait réaliser les mêmes exploits. Il n’aurait plus l’occasion de le faire.
Tor reposait aux côtés de son ami Karl. Ragnar se rappelait les plaisanteries que ces deux là lançaient aux frères plus âgés de la compagnie, leurs rires et leur joie de vivre. Leurs voix s’étaient tues à jamais !
Tous tournaient lentement en rond, encore et encore. Pour Ragnar, comme pour les autres survivants, le souvenir des morts apportait inévitablement une réflexion sur sa propre vie au service du chapitre des Space Wolves. Sur chaque visage empreint de noblesse, il pouvait lire son propre avenir. Il le savait et n’en éprouvait nulle crainte, un jour lui aussi serait allongé ici, honoré par ses camarades, son esprit partirait rejoindre l’Empereur dans sa lutte incessante contre les forces des ténèbres. Que pouvait-il espérer de plus ?
Ils s’arrêtèrent enfin sur un signe d’Ulrik. Le Prêtre Loup se saisit d’un lance-flammes et mit le feu au premier bûcher. Les flammes dansantes éclairèrent son visage par en dessous, le transformant en un masque dramatique et terrifiant, elles se reflétaient dans ses yeux comme elles l’auraient fait dans ceux d’un loup. Respectueusement, Ulrik alluma tour à tour chaque bûcher, jusqu’à ce que chacun des corps de ses camarades se consume dans les flammes. Celui du sergent Hakon fut le dernier à s’embraser.
Ragnar rejeta la tête en arrière et hurla de tout son être, laissant enfin s’échapper en un seul cri solitaire toute la peine, la colère et l’émotion qu’il avait jusqu’ici contenues. Tour à tour chaque Space Marine présent autour du feu fit de même, jusqu’à ce que leurs cris unis en un seul ressemblent au rugissement d’un animal géant, s’élevant vers les étoiles froides et éternellement scintillantes.
Codex Space Wolves V2